Zehra a mis le cap sur Washington. Ses athlètes restent prêts ici. Et vous ?

Le 30 septembre 2021, alors que le public des Effie se lève comme un seul homme et qu'un tonnerre d'applaudissements retentit à l'annonce du Grand Effie décerné à Special Olympics et LDV United, le petit bout de femme qui se tient à côté du directeur stratégique Tomas Sweertvaegher (LDV) s'étonne et s'émeut : « Oh, ils applaudissent ! Pas pour nous, mais pour nos athlètes ! » Le public des Effie acclame alors aussi ce qui fait l'unicité de Special Olympics et ce qui lui vaut le Grand Effie 2021 pour son « sustained success » : une approche essentiellement centrée sur l'humain, plus particulièrement des athlètes ayant un handicap mental.

Special Olympics : les origines

Il s'agissait du premier Grand Effie décerné depuis 2011 (!), année où ce trophée prestigieux avait été remis à William Lawson's. Special Olympics et LDV ont d'abord remporté deux Effie d'or : un en 2017 pour la campagne « Dare to Play » (des athlètes atteints d'un handicap mental défiaient avec assurance des athlètes de haut niveau) et un autre, en 2019, pour la campagne tout aussi audacieuse « Dare to Sponsor » (notamment avec une affiche sur roulettes devant les bureaux de géants tels que Procter & Gamble, qui comportait le message « Oserez-vous nous sponsoriser ? Car nous valons de l'or. »).

Nous avons organisé un Zoom avec Zehra Sayin, à Washington, et Dennis Vandewalle (Managing & Strategic Director de LDV United). Après sept années passées chez Special Olympics Belgium, Zehra Sayin a été invitée à rejoindre l'organisation mondiale (qui opère toujours sous la houlette des Kennedy) à Washington, en 2022, en qualité d'International Chief Marketing, Communications & Development Officer. Wikipédia vous en dira plus sur le lien entre l'organisation et les Kennedy. Vous pouvez également taper « Rosemary Kennedy ». Et ne confondez pas Special Olympics avec les Jeux paralympiques : il s'agit de deux initiatives distinctes. Comme vous le savez peut-être, cet entretien porte non pas sur les campagnes (qui sont disponibles sur le site web d'Effie), mais plutôt sur la collaboration entre le client et l'agence.

Un service entre amis pour point de départ

Tout a commencé lorsque l'organisation belge a émis la volonté d'organiser les Special Olympics quadriennaux à Anvers, en 2014. La compagne du CEO de l'époque était également amie avec Harry Demey de LDV, qui a apporté son soutien dans l'élaboration du dossier. À la clé ? Un succès légendaire. En 2014, LDV réalise l'inoubliable campagne « Open Your Eyes and Your Hearts », où les visages d'athlètes de haut niveau tels que Kevin De Bruyne et Kim Gevaerts sont photoshopés et remplacés (avec leur consentement) par ceux d'athlètes ayant un handicap mental. Quant aux campagnes de 2017 et 2019, nous ne devons plus vous les présenter. Pendant la pandémie de covid, alors que les Special Olympics ne peuvent avoir lieu (entraînant un trou de sponsoring de pas moins de 800 000 €), Zehra et LDV retombent sur leurs pattes en organisant la Container Cup pour les athlètes « spéciaux ».

Zehra a mis le cap sur Washington. Ses athlètes restent prêts ici. Et vous ?

Zehra Sayin : « Pour la campagne 2016 (qui est finalement devenue la campagne hautement disruptive "Dare to Play", NDLR), LDV avait proposé un travail créatif spectaculaire. J'ai alors répondu : "Je ne pense pas que vous compreniez". » Dennis Vandewalle : « Cette réunion a véritablement marqué le début de notre collaboration. Zehra a changé la dynamique client/agence. Nous avons pu échanger de manière très ouverte et honnête ; nous avons entamé un véritable partenariat, plutôt qu'une relation où l'agence soumet ses propositions. » Zehra : « J'ai passé beaucoup de temps avec le directeur stratégique à partir de ce moment. Nous voulions d'abord concrétiser un message véritablement disruptif, avant de passer à la création. »

LDV hors de sa zone de confort

À la question du budget nul, Zehra Sayin pouffe de rire : « C'est précisément le défi. Cela nous oblige à nous montrer encore plus créatifs. Comment mener une campagne sans budget marketing pour l'agence ? Nous avions certes besoin d'argent et LDV nous a aidés à sensibiliser le public, mais l'aspect humain figurait et figure toujours au cœur de l'approche. » Les débuts ont donc été difficiles. Zehra : « LDV excellait en termes de stratégie et de création. Les créatifs proposaient des idées extraordinaires, nourrissaient de grandes ambitions et parvenaient à créer l'effet "wow" sur la base de notre business call. Mais travailler avec des personnes atteintes d'un handicap mental et sans aucun budget marketing et médias les sortait vraiment de leur zone de confort. Les premières années, lors des réunions, nous devions leur répéter : "Non, vous n'y êtes pas. C'est trop commercial. Nous voulons seulement transmettre nos récits". » Dennis Vandewalle : « Elle nous a finalement demandé : "Est-ce que cela va vraiment aider notre public ?" C'est là que tout a basculé. Zehra a été claire et nous avons compris qu'elle avait raison. Pour moi, c'est à partir de là que nous nous sommes vraiment compris. Dès ce moment, nous nous sommes parlé d'être humain à être humain et la collaboration a vraiment commencé. Nous avons d'abord veillé à formuler correctement l'insight stratégique, ce qui a donné naissance à la campagne "Play Unified". Nos athlètes s'adressaient à des athlètes de haut niveau et les mettaient au défi de les affronter. C'est cette campagne qui a convaincu Zehra. Ce n'est qu'à ce moment qu'elle a ressenti profondément que nous étions sur la même longueur d'onde. Je me souviens de ce match de basket-ball Unified auquel j'ai assisté… Les larmes me sont montées aux yeux et je me suis efforcé de ne pas regarder Zehra. » Zehra : « Quand j'ai vu ça, je me suis dit : ça y est, LDV sait désormais de quoi il s'agit. Ils ne l'oublieront plus jamais. Dennis s'en souviendra pour le reste de sa vie. Chez LDV, ils ont formulé spontanément : "Nos athlètes. Les nôtres." (Satisfaction profonde) C'était parfait. » Dennis : « Cela a fonctionné parce que nous avons brisé le tabou des "athlètes spéciaux" et parce que nous les avons pris au sérieux, dans le cadre de notre campagne, mais aussi en tant que personnes. Le caractère profondément humain de cette approche a fait la différence. »

Zéro budget marketing

Tout cela est bien beau, mais comment les deux partenaires ont-ils trouvé des sponsors ? Même s'ils ont concentré cinq jours de tournage en un et même si Zehra a ouvert une porte « accès interdit » pour inviter l'équipe à entrer… Comment l'équilibre entre ces valeurs « spéciales » et le volet financier a-t-il pu être maintenu ? Zehra : « Cela n'a été facile ni pour nous ni pour l'agence de maintenir les athlètes au premier plan alors que l'objectif était aussi de trouver de l'argent. Nous avons donc pris notre temps. Nous sommes parvenus à la conclusion stratégique que nous devions d'abord créer un changement de mentalité chez les gens pour leur faire prendre conscience de l'importance du sport inclusif. Nous savions que nous ne pourrions demander aux CEO et aux directeurs marketing de mettre la main au portefeuille que s'ils étaient ouverts à l'idée. J'ai dû faire preuve de patience (petit sourire), même s'il s'agissait d'une campagne urgente. Nous savions dans tous les cas qu'il s'agissait avant tout de respecter nos athlètes. Nous ne pouvions pas mendier et y aller à coups de "s'il vous plaît, s'il vous plaît". C'est alors qu'est venue cette merveilleuse idée créative qui séduit le monde entier : rendre fiers nos athlètes. En clair, nous proposions une vraie opportunité de marketing. Ils se sont montrés confiants et intrépides. Ils ont admis qu'ils avaient besoin d'argent, mais pour une noble cause, à savoir permettre à un nombre croissant d'athlètes de participer. Il ne s'agissait pas de dire "Nous, en tant qu'entreprise, allons vous allouer un budget spécial" ; mais plutôt "Nous, Special Olympics, allons vous parler d'opportunités marketing". Nous allons vous parler de la manière de changer votre culture d'entreprise. De la manière de traiter vos collaborateurs atteints d'un handicap. Nous avons changé LDV et, ensemble, nous avons changé les entreprises. Une démarche résolument disruptive. »

In 2014 the Special Olympics took place in Belgium.

L'inclusion, la vraie

Dennis : « L'inclusion valait également pour nous. Nous avons travaillé comme une seule équipe. Nous avons renoncé aux réunions classiques et privilégié les appels téléphoniques récurrents. » Zehra : « Il n'y avait pas d'horaire défini. J'appelais quand j'étais sur la route ou dans la soirée. » Dennis : « Lorsqu'il était question de Special Olympics, toute l'agence se mettait en quatre. » Zehra : « À la fin, LDV connaissait peut-être même mieux que mon président les problèmes auxquels nous étions confrontés. » Dennis : « Ce que nous avons construit a été et reste pour nous tous un changement de mentalité unique. Nous avons nous-mêmes commencé à réfléchir et à travailler de manière inclusive. Lorsque nous étions réunis dans la salle du conseil d'administration d'une grande entreprise, Zehra et nous parvenions à nous montrer très stricts quant au choix de partenaires. S'il était question de "nous vous octroyons autant et le reste est réservé aux RP et au marketing pour expliquer ce que nous faisons pour vous", nous nous regardions, l'air de dire "ça ne va pas" et nous le faisions également savoir. On ne peut pas être "un peu fier" ou "un peu inclusif". Il ne s'agit plus de stratégie, mais de valeur humaine. » Zehra : « Contrairement à la diversité, l'inclusion est essentielle partout et pour tout le monde. Chaque foyer, chaque famille et chaque entreprise comprend au moins une personne qui pourrait participer aux Special Olympics. Tout le monde est concerné. »

J'ai emmené LDV à Washington

Zehra : « Nous devons à présent diffuser ce récit dans le monde entier. Il s'agit donc à nouveau de clarifier la stratégie et de trouver les mots justes pour adopter une approche significative, qui reste disruptive. Il faut d'abord comprendre de quoi il s'agit vraiment. Je travaille à Washington depuis un an déjà et j'ai emmené LDV avec moi. Au lieu d'organiser de nombreux pitches jusqu'à trouver le match parfait, notre équipe aux États-Unis a également souhaité travailler avec LDV. »

Pour terminer en beauté, une petite piqûre de rappel signée Harry Demey, CEO de LDV : « À l'occasion du gala Creative Belgium (CB) en 2015, notre campagne "Open Your Eyes and Your Hearts" pour le compte de Special Olympics a remporté l'or. Une seule personne est montée sur la scène où se tient habituellement une demi-agence pour recevoir le prix : un athlète "spécial". Le public du CB, qui est connu pour son agitation et que même le président Jens Mortier n'était pas parvenu à faire taire, a soudain observé un profond silence. Ce moment épique restera à jamais gravé dans ma mémoire. Cela prouve aussi de quoi sont capables les spécialistes de la communication : construire des marques, mais aussi créer des vagues qui changent la société. »

Josephine Overeem

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