Mira de mayer

Force & finesse


Lors de la cérémonie de remise des Effie Awards en septembre, le président du jury Ignace Heyman a passé le flambeau à Mira De Maeyer. Cette chevronnée du marketing occupe depuis un an le poste de General Manager d'Omega Pharma Belux. Nous l'avons rencontrée pour une entrevue où il a été notamment question d'endurance, de business marketers et des leçons tirées de la relance de la marque Cha-Cha.

Mira De MayerOn a parfois l'impression que le monde est tout petit. En cette journée d'automne maussade, je pénètre dans la pharmacie De Maeyer, située au centre de Dilbeek, à moins de 400 mètres de la maison de mes parents. L'endroit frappe d'emblée par ses dimensions généreuses et son aménagement bien pensé. C'est ici que Mira De Maeyer m'a donné rendez-vous pour notre entretien.

Cela fait déjà quelques années que je laisse à mes interlocuteurs le soin de fixer le lieu où ils souhaitent être interviewés. En effet, l'endroit choisi n'est généralement pas anodin, même si la plupart se contentent de proposer l'Atomium ou leur bistro préféré (et c'est d'ailleurs très bien ainsi). Je suis donc cette fois-ci particulièrement curieux d'apprendre la raison de son choix.

"'Le marketing doit occuper une place centrale dans l'organisation, mais en restant toujours au service du business."

Mira De Maeyer me donne un mot d'explication dès nous sommes installés dans la partie privée, où rien ne vient déranger notre entretien si ce n'est l'enthousiasme du chien qui nous a accompagnés dans le bureau. « C'est ici que j'ai grandi. Toutes les valeurs auxquelles j'attache une grande importance aujourd'hui, je les ai reçues dans cet endroit. » La pharmacie - qu'elle s'obstine à appeler « officine » - est le fruit du dur labeur de ses parents, qui ont acheté le commerce encore très modeste voici quarante ans pour le transformer peu à peu en ce qu'il est aujourd'hui. « J'ai appris ici ce que signifie la persévérance et l'audace de prendre des risques calculés. Mes parents ont investi énormément de temps et d'énergie dans ce projet pour arriver au résultat actuel. J'ai pu constater que le succès d'une pharmacie dépendait de l'art d'associer sciences exactes et esprit d'entreprise. »

"Ce sont les gens qui me donnent de l'énergie"

Pourtant, Mira De Maeyer a très vite compris que son avenir était ailleurs. « D'une part, parce que je ne suis pas faite pour les sciences exactes ; d'autre part, parce que je n'ai pas l'esprit de clocher. Je suis quelqu'un qui aime le changement et qui ne veut pas rester tout le temps au même endroit. » D'où sa décision de faire des études en sciences commerciales, complétées d'une licence en marketing. « J'ai été séduite par la diversité des cours et par la place centrale accordée au consommateur ou à l'individu. Les gens sont pour moi d'une importance primordiale. Ce sont eux qui me donnent de l'énergie. »

"Les campagnes FMCG s'en tirent d'ordinaire moins bien à l'Effie ces dernières années. Nous devons examiner les raisons de ce recul."

La dimension interpersonnelle a également eu une influence considérable sur ses choix professionnels. Dans sa carrière marketing, elle a travaillé pour de grands groupes FMCG comme LU (aujourd'hui propriété de Mondelez), Kraft, Continental Foods et Danone. « Je voulais travailler pour des organisations où le marketing jouait un rôle primordial, mais j'ai toujours veillé à ce que la culture d'entreprise soit en adéquation avec mes valeurs, en mettant le capital humain au centre des préoccupations. J'ai fait une grande partie de ma carrière dans le groupe Danone, où j'ai toujours reçu des opportunités de croissance et dont les valeurs cadraient parfaitement avec ma façon de voir. »

Lorsque Danone décide en 2007 de vendre les biscuits LU à Kraft Foods (aujourd'hui Mondelez) en échange de Nutricia, elle déménage « avec les meubles ». « Je me suis retrouvée dans un cadre de travail qui me convenait moins en termes de culture et de business model. J'ai contribué au processus d'intégration. J'ai tout de suite senti que ce serait professionnellement très enrichissant, mais en même temps mentalement épuisant. Pourquoi ai-je quand même relevé le défi ? Eh bien, je suis quelqu'un de persévérant, qui ne jette pas vite l'éponge. Je n'abandonne pas facilement, même si bien sûr il y a des limites. Je trouve que c'est mon devoir d'agir ainsi, tant envers les autres qu'envers moi-même. J'ai cela en commun avec mon père, qui lui aussi est très obstiné. » (Rires)

Business marketeer

Au final, elle aura travaillé vingt ans dans le marketing (dont dix dans des fonctions de direction). Avec toujours la même motivation : faire en sorte que le développement des marques débouche sur des résultats commerciaux. « Je suis un business marketer dans l'âme. Pour moi, le marketing doit occuper une place centrale dans l'organisation, mais en restant toujours au service du business. Le business marketer est capable de réconcilier les chiffres avec l'intuition, l'émotionnel. »

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle elle a souhaité s'engager dans les Effie Awards. Elle entend attirer l'attention sur les métiers du marketing et prouver que ceux-ci peuvent contribuer durablement aux résultats de l'entreprise. A cela s'ajoute encore une motivation personnelle : « Les Effie, mais aussi l'UBA (où elle siège au comité exécutif, ndlr.) sont un stimulant. On entre en contact avec des marchés qui nous sont tout à fait étrangers. Cela donne des idées et c'est très enrichissant. » Depuis quelques années, elle s'est mise à observer davantage ce qui se passe à l'extérieur, suivant le conseil de son ancien General Manager chez Danone.

Succédant à Ignace Heyman (Lotus Bakeries) à la présidence du jury Effie, Mira De Maeyer reprend le flambeau d'une mécanique désormais bien huilée. Si elle en est bien consciente, un problème continue toutefois à lui tenir à cœur : « Les campagnes traditionnelles en FMCG s'en tirent d'ordinaire moins bien ces dernières années », déplore-t-elle. « Nous devons examiner les raisons de ce recul et encourager tous les ambassadeurs Effie à intensifier leurs efforts. Parfois, je me dis que c'est dû à l'internationalisation et au fait que l'on se limite souvent à exécuter en Belgique ce qui a été décidé ailleurs.‏ Mais même dans ce cas, cela vaut la peine d'introduire un dossier. Il est encore possible aujourd'hui d'ajouter une touche locale à une activation et, en cas de résultats probants, il ne faut pas hésiter à soumettre sa candidature aux Effie. »

Choisir entre les télécoms et le secteur pharma

Depuis 2016, le marketing n'est plus le moteur principal de la vie professionnelle de Mira De Maeyer. Cela fait un peu plus d'un an qu'elle occupe la fonction de General Manager chez Omega Pharma Belux, spécialiste d'origine belge des médicaments sans ordonnance, racheté par Perrigo. Tant la fonction et le secteur correspondaient exactement à ce qu'elle cherchait.

« Différents éléments m'ont incitée à prendre cette décision. Tout d'abord, j'ai le marketing dans le sang. C'est un métier que j'apprécie pour sa grande diversité. Ensuite, je suis très attachée à mon autonomie. Je veux bénéficier d'une grande marge de manœuvre dans ce que je fais. Enfin, je veux aller de l'avant et être constamment stimulée. Après avoir travaillé pendant vingt ans comme responsable marketing pour des entreprises FMCG de premier plan sur un marché fortement saturé et internationalisé, j'avais besoin d'un nouveau challenge. Mon ambition était de décrocher un poste de General Manager, et ce, dans un secteur autre que celui des FMCG. Le modèle de distribution est en pleine mutation et les marques sont soumises à de fortes pressions. J'ai aimé travailler dans ce secteur, mais le temps était venu pour moi de tourner la page. Travailler dans le secteur OTC me donne la possibilité d'exercer une influence réelle sur la santé des consommateurs/patients. Un sacré défi, non ? »

Similitudes et différences entre OTC et FMCG

A ma question de savoir si ce le dépaysement n'est pas trop grand par rapport au monde des FMCG, elle répond : « Vous savez, les principes de base sont partout les mêmes. Il faut toujours partir des insights consommateurs. Et, contrairement à ce que l'on entend souvent dire, ces insights sont universels et non locaux. Chez Omega Pharma, nous avons par exemple une marque comme XLS Medical (une gamme de produits amincissants, ndlr.), qui est disponible uniquement en pharmacie, mais dont la tactique marketing est fort semblable à celle d'Activia, par exemple (un yaourt de Danone, ndlr.). Bien sûr, dans le cas de nos marques et produits, le pharmacien joue un rôle important de conseiller et par conséquent d'intermédiaire obligé. D'autres produits s'apparentent plus à des médicaments. Dans ce cas, il est important de tenir compte aussi des leaders d'opinion et des médecins. »

La situation en matière de distribution est par contre très différente dans les deux secteurs. Contrairement aux consolidations opérées depuis des années au sein des FMCG, l'univers des pharmacies reste encore très atomisé en Belgique. Si l'on trouve un certain nombre de chaînes, la majorité des pharmacies sont encore aux mains d'un « pharmacien titulaire ». Celui-ci constitue donc aussi un maillon important.

C'est de nouveau en marketer que Mira De Maeyer aborde la question des possibilités offertes par la pharmacie en tant que lieu de vente. « Il s'agit en quelque sorte d'un Experience Center. Le consommateur s'y rend généralement pour résoudre un problème. Mais le pharmacien peut inverser complètement la situation en mettant en œuvre toutes sortes de pratiques propres au retail dans sa pharmacie en vue de stimuler la demande. Seuls les pharmaciens qui exploitent ces possibilités survivront à long terme. Si l'on veut concurrencer l'Internet, il faut faire en sorte que les consommateurs soient intrigués et stimulés. Il faut leur offrir un niveau de service élevé qui se traduit par un assortiment étendu, une bonne visibilité et des conseils avisés. »

Quand je lui demande si son père partage ce point de vue, elle répond immédiatement : « Mon père, pas tout à fait, mais ma sœur oui. » C'est sa sœur qui dirige aujourd'hui les deux pharmacies De Maeyer, avec l'aide de son mari.

Changements radicaux

Il est clair que la fonction de General Manager diffère passablement de celle de Marketing Director et que les activités de Mira couvrent désormais un spectre plus large. D'autre part, Omega Pharma a traversé une période difficile après son rachat, et elle n'a donc pas eu le loisir d'apprendre tranquillement les ficelles du "métier" de General Manager. « Pendant la procédure de recrutement, on m'a fait savoir que certaines choses devaient changer. Je me suis dit : d'accord, on verra bien. Après mon engagement, j'ai vite compris que la situation était différente. Au bout d'une semaine, mon directeur financier et moi sommes arrivés à la conclusion que des changements radicaux s'imposaient. »

Il s'en est suivi une restructuration majeure. « Le jour où nous l'avons annoncée reste pour moi un jour noir. Les mois suivants ont été difficiles, mais l'ambiance qui régnait était constructive. Résultat : au bout de six mois, la restructuration était terminée et un nouveau business model avait été mis en place, « que nous déployons depuis avec beaucoup d'enthousiasme. »

Fière, mais pas encore satisfaite

Quand je lui demande si elle est satisfaite de cette première année, elle me répond d'une façon qui la caractérise bien : « Je suis très fière de ce que nous avons réalisé, mais pas encore satisfaite. Les changements suivent leur cours. Mentalement, c'est difficile pour tout le monde. »

Pour mener à bien une telle transformation, il faut oser prendre des décisions et faire preuve de patience. Si le premier aspect ne pose à l'évidence aucun problème à Mira De Maeyer, le second lui coûte davantage. « Je dois me forcer à être patiente et à donner du temps aux gens. La patience n'est pas mon fort, et les choses vont moins vite que prévu. Je dois apprendre à accepter cela. »

Selon certaines personnes de son entourage, Mira De Maeyer aurait aussi du mal à cacher son impatience, qui peut parfois tourner à l'agitation. « J'ai un style de communication franc et direct qui peut me jouer des tours. Je ne fais pas toujours dans le politiquement correct. » Ce style est en même temps sa grande force, car il lui permet de transmettre plus facilement son enthousiasme. Et elle est particulièrement heureuse de pouvoir aider son entourage à s'épanouir. « J'aime voir que les gens avec qui j'ai collaboré progressent dans leur carrière. Cela me fait plaisir de penser que j'ai contribué un tant soit peu à ce qu'ils trouvent leur voie dans la vie. »

Bref, une femme tout en force et finesse, pour reprendre la description éloquente d'un ancien collègue de Mira De Maeyer.

Un flop marketing retentissant

Pour conclure, je lui demande ce qu'elle fait en dehors de son travail et de sa famille qui compte deux jeunes enfants (« la danse est le seul moment où je déconnecte complètement ») avant de lui poser ma question préférée : « Quelle erreur ne voudriez-vous plus jamais commettre ? » La réponse aurait tout à fait sa place dans une session de Failing Forward. « Au début de ma carrière, j'ai participé à la relance de la marque de biscuits Cha-Cha. C'était un produit phare local très rentable, mais qui avait pris un coup de vieux, comme sa cible. Comme nous voulions toucher plus de jeunes, nous avons mené une étude de marché auprès de ce groupe, ce qui nous a permis de constater que le produit n'était plus dans l'air du temps, qu'il devait être plus "croustillant". C'est pourquoi nous avons modifié en profondeur le produit, l'emballage et la communication.

Les lignes de production ont également été entièrement adaptées. Lorsque nous avons lancé le nouveau Cha-Cha sur le marché, cela été un bide total. Un flop marketing retentissant. Le problème est que nous n'avons pas tenu compte des attentes des consommateurs existants. Il est capital de déterminer la bonne cible. On peut changer pas mal de choses, mais il faut être très prudent quand on touche aux caractéristiques d'un produit, car on intervient alors dans l'ADN de la marque. Heureusement que cela m'est arrivé au début de ma carrière. »

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